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DEFENSE DE SALIVER DES YEUX !
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8 mars 2006

634 : Ouf ! encore un jour sans femmes

   Me revoici dans ma chambre à Florence… Encore une semaine… Restons tendus… Ma petite voisine, de l’autre côté de la rue, est toujours collée à son livre… Tiens, mais voici un autre spectacle… Un couple pédé… Un grand poilu-moustachu… Un jeune efféminé… Américains… Ils font l’amour sur le lit dans la chambre à côté de celle de la lectrice… Très traditionnels… Hétéros en plein… Monsieur sur Madame, les jambes en l’air, caressant les fesses à poils de Monsieur… C’est mou, lent, insistant ; c’est touchant… Le quiproquo organique… Les homos ne peuvent pas savoir ce qu’est un cul… Les délices d’un cul… Puisqu’il n’y a pour eux qu’un vagin de cul… Quelle tristesse ! Quel rétrécissement des contours !… Quel tunnel d’équivoque ! Quel faux rebond ! … Je les croise plus tard dans la rue, sages, irréprochables, très jeunes mariés… Catalogues, musées…Splendeurs italiennes…

   Je me demande quand même ce qui m’attend à Paris… Comment Deb a pris la tournée de Flora… Qui n’en est sûrement pas restée là, d’ailleurs… Visites… Bla-bla… Bombardements des aéroports… Tronçonnage des routes… Explosion des dépôts de munitions… Destruction des ponts… Soulèvement militant… Je risque de retrouver mon paysage en poudre… Pour Deb, je suis à peu près tranquille… Réaction d’analyse… Concrète… Elle montera ses prix…

 

   Je relève la tête … Mes deux gentils pédés sont de nouveau dans leur chambre à coïter conjugalement… Avec une obstination sépulcrale… Ils pétrifient un peu l’atmosphère… La Bible est sévère avec eux… À l’époque, les prostitués mâles, sacrés, pullulaient près du temple… En Babylonie… En Syrie… Ils s’introduisaient en Israël en même temps que l’idolâtrie… Toujours l’Ashérah, le pieu, et ses conséquences… Des « chiens », dit le texte hébreu… En l’occurrence, ce sont plutôt des toutous somnambuliques… Cintrés…

 

   Encore quelques jours seul… De plus en plus seul…Pourquoi ne pas rentrer dans un couvent des environs ? … Sans blague ?… Disparaître là… Que c’est tentant !… Du papier… De l’encre… Whisky caché… Et puis quoi ? De quoi d’autre aurait besoin une forme déjà en cendres, un squelette en sursis ? Être en vie ? Pourquoi ? À quoi bon ? Comment ? Se sentir en vie, vous voulez dire ? Avec ces fleurs, là, devant moi ? Devant mes yeux ? Mais les yeux qui sont pour le moment mes yeux viennent de plus loin que les fleurs qui sont là devant des yeux…Être enfermé là-dedans ! … Qui me délivrera de ce corps de mort ?… Cellules tirées vers moi, contre moi… Comment rejoindre ce que je sens plus loin que ce moi qui ne sent que ce que je sens ? … Voile…Puchritudo saeculorum, comme dit Augustin… « La beauté des siècles »… Mon œil…Je suis seul, mais voulu par dieu, une pensée de dieu, une portion, une parcelle éternelle de la louange qui lui est adressée… La voix de ces êtres parlants, c’est leur évidence même… Le verbe… Oui, c’est ensemble et éternellement que tout est dit… Tu ne fais pas autrement qu’en disant… Le souffle, l’esprit, planant au-dessus, pesanteur inversée, lancée…Quand notre âme aura traversé les eaux qui sont sans substance… À qui le dire ? …Comment le dire ?…Porte ton poids d’évanouissement !… Dix, et salvavi animam meam !

 

   Nous sommes à l’ère de la publicité et de la mystique…La publicité ravage l’ensemble de la représentation… Achève la comédie… Ramène la désinvolture XVIIIe. La lucidité, aujourd’hui, est là… Cyd… Musique, ironie… Ce qui plait à Mme Duchnock règne enfin sur le monde… On ne va pas plus loin que Mme Duchnock… Pas de profondeur… Surface en surfaces… Flash… Achetez… C’est mieux… Lessive… Parfum… Comment on fabrique la vox populi… Désir des masses… Marketing… Science des glandulations… Science très subtile, je ne plaisante pas… Les plus hautes qualités d’appréciation et d’intuition sont requises… Persuader en douceur… Être plébiscité… Adopté… Vous n’y êtes pour rien…Ce sont eux qui décident…

 

   Et puis le feu, la flamme invisible, derrière… Irreprésentable… La voix qui vient du feu…

 

   Je peux aussi bien me dire : ouf ! encore un jour sans femmes… Il sera toujours temps d’y retomber… Bientôt… La chair est faible, hélas… Heureusement qu’il y a un livre qui résiste à toutes les lectures… Ouf, encore un jour sans Flora, en tout cas !… Pas de téléphone, pas de pression, pas de parasitage, pas de bavardage, pas d’allusions empoisonnées, pas de séduction forcée, pas de « grande séance »… Ta queue, chéri ! Je veux voir le sperme sortir ! Houie ! Sur les seins !… Sur les yeux !… Partout !… L’avaler !… Miam !… Prends-moi !…Encore!… Je t’adore !…Je t’aime !…Suce-moi !…Caresse-moi !… Enfonce-moi !…Et les pleurs de joie, quand ça jouit, pauvre silhouette coincée dans le spasme…Ah, humanité ! Humanité !… Flot du temps…

 

   Soleil couchant sur Florence ; soleil rouge sur la mince frise des séraphins des Pazzi

 

Philippe Sollers : Femmes. Éditions Gallimard, 1983, pp.390-393.


 

 

 

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