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DEFENSE DE SALIVER DES YEUX !
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2 juin 2005

389 : Elle m'avait répondu : "Le bonheur est encerclé de douleur."

[…] Maria pleurait en silence et gardait les yeux baissés.

-         Tu es incroyablement cruel, put-elle dire enfin.

-         Laissons de côté les considérations de forme : ce qui m’intéresse, c’est le fond. Le fond, c’est que tu es capable de tromper ton mari durant des années, non seulement sur tes sentiments mais même sur tes sensations. La conclusion, un débutant pourrait la tirer : pourquoi ne me tromperais-tu pas, moi aussi ? Tu comprendras maintenant pourquoi j’ai si souvent cherché à éprouver la véracité de tes sensations. Je me rappelle toujours comment le père de Desdémone avait averti Othello qu’une femme qui avait trompé son père pouvait tromper un autre homme. Et, pour moi, rien ne peut me sortir ce fait de la tête : c’est que tu as constamment trompé Allende, durant des années.

    Subitement, je sentis le désir de porter la cruauté à son comble et j’ajoutai, tout en me rendant compte de ma vulgarité et de ma muflerie :

      -    …trompé un aveugle. (p.78)

* * *

[…] Ma tristesse augmenta graduellement ; peut-être aussi à cause de la rumeur des vagues qui se faisait sans cesse plus perceptible. Quand nous débouchâmes du bois et qu’apparut à nos yeux le ciel de cette côte, je sentis que cette tristesse était inéluctable ; c’était celle que j’ai toujours ressentie devant la beauté, ou du moins devant un certain genre de beauté. Tout le monde est-il ainsi ou est-ce un défaut supplémentaire de ma triste condition ?

Nous nous assîmes sur les rochers et longtemps nous gardâmes le silence, écoutant les coups furieux portés par les vagues au-dessous de nous, recevant sur nos visages les embruns qui atteignaient parfois le haut de la falaise. Le ciel, tourmenté, me rappelait un ciel du Tintoret : dans le sauvetage du Sarrasin.

-         Comme j’ai souvent rêvé, dit Maria, de partager avec toi cette mer et ce ciel !

Elle marqua un temps, puis ajouta :

-         Parfois, j’ai l’impression que nous avons toujours vécu cette scène ensemble.

-          Quand j’ai vu cette femme solitaire de ton tableau, j’ai senti que tu étais comme moi et que tu cherchais toi aussi, comme un aveugle, quelqu’un, une espèce d’interlocuteur muet. […] (p.103)

( Ernesto Sabato : Le tunnel. Points Seuil n° R66, 1982.)


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