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DEFENSE DE SALIVER DES YEUX !
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8 octobre 2006

784 : Ces « yeux crevés » regardent la narratrice

C'est noté en bas de la page 36 : « Dieu n'a pas d'yeux. Il n'y a pas Dieu.» Avant, il y avait toujours Dieu chez Cixous, au téléphone, caché dans son buisson ardent. Mais, désormais, il lui faut s'habituer à l'absence d'abonné au numéro demandé, celui de Jacques Derrida, l'ami à jamais. Il faut le temps, comme dit Hölderlin, que le manque du Dieu lui vienne en aide. Mais s'il n'y a pas Dieu, il y a toujours le secret, l'écriture du secret, qui fait qu'on voudrait donner Cixous à manger au lecteur, le faire communier (même si le mot «messe, ça n'est pas kasher» ). Prenez, ceci est la peau du monde. Un livre-hostie.

Une peau ouverte, accueillante à la mort ­ donc vivante, absolument vivante. Celle de sa mère, Eve Cixous, à qui la narratrice s'adresse dès la première page : « C'était avant la fin du temps, pensais-je, le temps d'avant la fin. Je n'avais encore jamais vu une si fine splendeur. Soudain j'étais avertie que j'approchais le point, je vis que je voyais luire la vie. Il y en avait partout. Elle jetait ses derniers feux, surtout dans les feuillages et dans l'air. Et aussi dans les larges yeux de ma mère que l'âge lui met de plus en plus en avant. Tu es le temps lui dis-je. Lui me travaillait toute.» Les motifs de cette exposition (au sens musical) vont se développer au long du livre, l'engendrer. Les yeux que le temps fait à la mère sont les cloques d'une maladie qui lui ronge la peau, la couvre d'ulcères : ces « yeux crevés » regardent la narratrice qui, chaque jour, oint sa mère de pommade : « On ne peut pas ne pas utiliser la cortisone, on doit fragiliser maman pour la garder en vie la fragiliser, fragiliser la vie pour la garder.» Nous voilà rendus à la «si fine splendeur» de la peau amenuisée, presque parchemin où s'écrit le monde, presque le voile de la vérité. Hyperrêve se constitue comme tentative non pas sans doute contre la mort, mais avec elle. Celle-ci n'est d'ailleurs ici qu' «interruption» . La fiction, le rêve, le souvenir en font un point, une focale, une façon de voir les choses par-dessus laquelle Eve saute allègrement à coups de «çamrappelle» . Ainsi déplore et se réjouit-elle, se ressouvenant de sa jeunesse berlinoise : « Tous ces gens déjà morts dont je me souviens si bien.» ...

Les yeux de ma mère. Par Eric LORET; LIBERATION : Jeudi 21 septembre 2006. Hélène Cixous, Hyperrêve. Editions Galilée, 218 pp., 25 €.


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