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DEFENSE DE SALIVER DES YEUX !
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2 mars 2006

628 : "C'est un des éléments les plus puissants de la civilisation et du progrès"

On adresse encore à notre ami un autre reproche : on raille, en termes amers, sa laideur. Assurément, au point de vue de l'élégance, il ne soutient pas le parallèle avec le chevreuil, l'antilope ou le chamois ; mais, que voulez-vous, dans le monde des bêtes comme dans le nôtre, la perfection physique n'est pas échue en partage à chacun. Si la nature ne l'a pas avantagé, ce n'est pas sa faute ; qu'on s'en prenne à cette marâtre. Lui, au moins, se contente de son sort, ne jalouse pas les privilégiés et n'a jamais eu le semblant même d'une prétention personnelle à la beauté. Pourrait-on rendre un pareil hommage à tous les laiderons qui déshonorent l'espèce humaine ? Au surplus, à le bien examiner, il n'est pas aussi désagréable à l'oeil que les mauvaises langues l'affirment. En en tenant pas compte de son atroce caricature, le Phacochère, et défalcation faite des martyrs de l'engraissage ou du défaut de soins, le Cochon, pris en des conditions normales, ne manque ni d'originalité pittoresque dans les formes, ni d'une certaine désinvolture dans les mouvements. Il n'est pas beau, mais il est joli. Jeune, il a pour lui la gentillesse ; rien de coquet et de gracieux comme ces petits corps blancs et roses, proprets, toujours frétillants, à la frimousse guillerette et fûtée. Plus âgé, il se recommande aux amateurs de plastique par son échine large et souple, son pied fin, sa jambe ronde, son oreille transparente, ses joues trouées de fossettes ; trois choses surtout, chez lui, sont véritablement incomparables : la queue en vrille, fantasque, intéressante, spirituelle ; l'oeil, expressif et d'un feu étrange, à la fois moqueur, insouciant et mélancolique, reflétant toute une psychologie inconnue à nos philosophes ; le groin, grand nez goguenard, insolemment superbe en sa monumentale ampleur.

PROST, Bernard (1849-1915) : Le Cochon (1882).


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