504 : "du berceau au gâtisme, c'est le programme depuis le début"
… Maud pense qu'on vit un roman que j'invente, elle me suit, elle me croit. Tout a commencé par son obstination et sa gentillesse. Au début, méfiance, qu'est-ce qu'elle veut celle-là, l'étudiante, bon, oui, d'accord, jeune, brune, jolie, ronde, gracieuse, danseuse, regard noir amusé profond, mélodie, harmonie, la raison même. Les cinglées, merci, j'en ai eu ma claque. En insistant un peu, on finit d'ailleurs par s'apercevoir qu'elles le sont toutes. Ça peut mettre longtemps à se dévoiler, mais ça vient. Les visages se creusent ou s'affaissent, les masques tombent, la grimace d'argent apparaît, les sourires à reproduction s'enfoncent, les yeux égarés virent au fixe. Les types, nounours plus ou moins pervers, ignorent que la grande folie passe à ce moment-là sur eux, la vraie, celle de toujours, grottes, cryptes, couvents, maternités, crèches, écoles, liftings, cliniques, hôpitaux, bureaux, banques. Ils deviennent débiles ou se taisent. La folie, elle, parle à ciel ouvert, et personne ne semble s'en rendre compte. Ils sombrent, elles se décomposent, le spectacle continue, salut.
En réalité, elles sont là pour ça : les user, les conduire du berceau au gâtisme. Folie et gâtisme, c'est le programme depuis le début. Tout le reste est comédie transitoire, bavardage technique, dénégations en tout genre. Eh, ho, c'est vous, qui êtes désespéré, déprimé, non ? Mais pas du tout, au contraire.
— Qu'est-ce qu'on fait ? dit Maud.
— Rien. On attend.
Philippe Sollers : L’Étoile de amants. Éditions Gallimard, 2002, p 12.