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DEFENSE DE SALIVER DES YEUX !
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17 mai 2005

371 : ‘tes yeux ouverts ne se fermeront plus’

3. l’oeil, le ciel

Le bleu, la lumière, l’ombre. La vingtaine de poèmes donnés dans Amen sous le titre ‘Lente approche du ciel’ forme une variation infinie sur ces trois mots. Le mot Dieu, en revanche, ne s’y trouve pas une fois cité.

Ciel, oeil : deux autres syntagmes, aussi proches, ailleurs, de par leur homographie, que le sont banlieue et banal. Le ciel est ‘limpide et dur comme l’œil d’une femme nue levant sa jeune paupière‘. (Amen, 47) ; ‘L’œil interroge le ciel, qui éclaire en lui une certitude‘. (Amen, 44).

‘La fenêtre qui s’allume, s’éteint / se rallume le même un peu plus loin comme cette ombre au coin toujours prête à surgir qui se dérobe’ (Récitatif, 132). 

L’œil qui voit, qui ne voit plus : la paupière (de celui qui voit, mais aussi du ciel qui se lève pour éclairer) pourrait, en théorie, reproduire sans cesse le battement du cœur du monde, la venue puis le départ de la lumière où ‘nos os blanchiront‘ (Récitatif, 74). 

Il y a : c’est l’évidence muette de l’existence, en quoi le poète n’a plus qu’à se fondre, auquel il n’a plus qu’à appartenir, il tâche de fonder son séjour, ‘un moment de repos, de quoi boire et bâtir’ (Récitatif, 73). Il n’y a pas : l’intervalle se resserre, comme le ciel, en ‘lambeaux’ et qui brille comme le tranchant d’une bêche qui laboure (Amen 53) ou cherche la gorge (Amen, 30).

Cet intervalle temporel, voilà peut-être la clé tout simple de cette scène primitive qui eut lieu à deux reprises, à plusieurs années de distance dans la vie de Réda, qui y place alors le moment d’exister (Amen, 19 ; Récitatif, 73).

4. l’oeil sans paupière

Mais les yeux ouverts sont alors obligés de voir, et de voir tout. Les instants de pur offrande (une manière pour Réda de nommer le Présent) ne se reproduisent, paradoxalement, que rarement, et on le sait. Que faut-il, alors, faire de ses jours ? Que faut-il faire de ses nuits ? Le sommeil est parfois interdit.

‘Tes yeux qui voient’ (Amen, 51), cela sonne comme une mise en instance. Souhaiter alors la mort pour que se ferment les yeux de celui qui fut, toute sa vie, condamné à voir, et toute sa vie soumis à l’ironie de la lumière. Mais après la mort, le regard ne meurt pas. C’est le contraire. On aura beau déplier la paupière sur l’oeil de celui ou celle qui vient de partir, cet œil ‘reprend son vêtement de lumière / Et désormais rivé dans l’œil circulaire qui nous surveille’ (Amen, 105).

L’œil sans paupière : c‘est le thème, repris par Réda, d‘une obsession gothique - Philarète Chales (1832) - utilisé notamment par Lautréamont, et qui perdure encore : ‘l’oeil fixe et sans paupière au milieu de mon ventre épie’ (41) , ‘yeux qui n’ont plus de paupière et ne peuvent nier ce vide qui s’accroît soudain’ (45), ‘tes yeux ouverts ne se fermeront plus’ (51). 

Si le ciel est tantôt maternel lorsqu‘il se présente dans toute son étendue physique, il est, aussi l’espace métaphysique où la mort se déploie. Quelle est, alors, la juste distance ? ‘Il y a celui qui ferme obstinément les yeux, cherchant / La mesure de l’âme comme d’un mur blanc, et l’autre / Qui entre en suffoquant dans les plis de la mer / Entre eux j’ai posé mon vélo contre un pin violet qui craque / Et je tiens l’horizon entier dans l’empan l’incessante mobilité d’insecte où se perd mon regard’ (Récitatif, 119).

Amen. Paris, Gallimard, coll. Le Chemin, 1968.

Récitatif. Paris, Gallimard, coll. Le Chemin, 1970.

http://membres.lycos.fr/jfduclos/index-reda.htm


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