370 : offrir : son champ, son paysage, son métier, sa langue, son désir de changement, ses livres.

MERCREDI

[…] Le lundi de la Pentecôte : on n'a pas le droit d'inscrire les racines chrétiennes de l'Europe dans la Constitution, mais tout le monde veut chômer le lendemain de la fête du Saint-Esprit : on ne dira plus que la France est déchristianisée.

VENDREDI

Trois bulletins Non

L'Europe : je reçois le texte de la Constitution européenne, comme tout le monde ; mais avec trois bulletins Non et aucun Oui. Quelle machine aveugle, quelle main maligne est responsable de cette multiplication négative ? Me voici donc obligé de voter trois fois oui. A quelle Europe ? C'est une des grandes causes qui permettent d'échapper à notre misérable individualité, qui pousse, comme disait Mallarmé, à «mesurer notre fini à un infini qui nous dépasse». La question n'est donc pas : que m'apporte l'Europe ? mais : que puis-je lui apporter ? Chacun a immédiatement quelque chose à offrir : son champ, son paysage, son métier, sa langue, son désir de changement, ses livres. Oui à quelle Europe ? A celle qui mêle trois origines, latine, germanique, slave ? A celle qui a des sources chrétienne, juive, musulmane, soumises plus tard à l'énergique critique de l'athéisme issu des lumières ? Au continent qui, de la Grèce à nos jours, porte plus de vingt-cinq siècles (soyons prudents...) de littérature, de philosophie, de science et d'art ? mais aussi d'une politique qui, tôt ou tard, s'est tournée, contre la brutalité des empires, vers la liberté ? Mauriac écrivait dans le Figaro du 8 mai 1945 : «Tressaillez de joie parce que l'Europe avait été réduite en esclavage par des tortionnaires et des assassins et qu'elle est redevenue la patrie des hommes libres, et qu'elle n'a pas été abandonnée, et que nos yeux ont vu la manifestation de la justice.»

Oui, on peut un instant parler d'Europe sans parler d'argent ni de marché, son point fort, nous dit-on pourtant. Quelques-uns des plus beaux paysages du monde constituent aussi ces Europes que vient de publier (chez Fata Morgana) Jacques Réda, au long de ses promenades inimitables où se mêlent de quoi justifier la vie : l'humour, l'insolite et la poésie.

Jean-Yves TADIE : La machine est une oeuvre d'art. LIBERATION : Mon journal . Samedi 14 mai 2005
Son dernier livre est consacré à Jules Verne (Regarde de tous tes yeux, regarde, Gallimard).

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