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DEFENSE DE SALIVER DES YEUX !
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2 mars 2005

282 : Ensuite...une fois de plus, un épais brouillard nous cache les événements, et l'on ne sait plus du tout ce qui arriva ...

[…] Sur ce, le nez se détourne.

Kovaliov demeura tout étourdi, ne sachant que faire, que penser. En cet instant, il entendit le bruissement délicieux d'une robe : une dame âgée, toute couverte de dentelles, approchait, accompagnée d'une jeune personne mince, en robe blanche qui moulait très joliment sa taille, coiffée d'un chapeau jaune paille, pareil à une crème fouettée. Les deux dames étaient escortées d'un grand laquais à favoris épais, dont le manteau s'ornait d'une demi-douzaine de collets ; il s'arrêta derrière elles et ouvrit sa tabatière.

Kovaliov se rapprocha, rajusta le col en batiste de sa chemise, vérifia les cachets en cornaline pendus à son gilet par une chaînette d'or et, souriant à droite et à gauche, dirigea son attention vers la jeune dame aérienne qui se penchait, semblable à une fleur printanière, et touchait son front de sa petite main blanche aux doigts diaphanes. Le sourire de Kovaliov s'épanouit encore lorsqu'il distingua sous le chapeau un petit menton rond d'une blancheur éblouissante et une joue où fleurissaient les premières roses…Mais il bondit brusquement en arrière comme sous une brûlure : il se souvint que l'emplacement que devait occuper son nez était vide maintenant, et ses yeux s'emplirent de larmes. Il se tourna pour dire tout droit au monsieur en uniforme qu'il se faisait passer pour un conseiller d'Etat, qu'il n'était qu'une canaille, un misérable, qu'il n'était tout simplement que son propre nez à lui, Kovaliov. Mais le nez était déjà parti, sans doute pour rendre visite à une autre connaissance.

[…]

( Gogol : le nez. Editions GF-Flammarion, 1995, p.30-31.)

.

 *

[…]

Jamais il ne prêta la moindre attention aux événements quotidiens de la rue, auxquels s'intéressent beaucoup, comme on le sait, ses collègues, les jeunes fonctionnaires aux yeux vifs, dont l'observation s'étend si loin qu'ils remarquent même sur le trottoir opposé un sous-pied décousu, ce qui amène toujours à leurs lèvres un sourire malicieux. Quant à Akaki Akakiévitch, lors même que ses yeux se posaient sur quelque objet, il ne voyait partout que les lignes nettes de son écriture égale ; et ce n'est que lorsque la tête d'un cheval, surgie on ne sait d'où, se posait soudain sur son épaule et lui envoyait par les naseaux toute une tempête à la figure, c'est alors seulement qu'il remarquait qu'il n'était pas au milieu de la page, mais bien plutôt au milieu de la rue. (p.67)

[…]

Akaki Akakiévitch regardait toutes ces choses comme s'il les voyait pour la première fois : il y avait déjà plusieurs années qu'il n'était plus sorti le soir. Devant la vitrine éclairée d'un magasin, il s'arrêta, le regard attiré par un tableau représentant une jolie femme qui enlevait son soulier, découvrant ainsi une jambe assez bien faite, tandis qu'à travers une porte entrouverte, on voyait passer la tête d'un monsieur portant des favoris et une jolie barbichette.

Akaki Akakiévitch hocha la tête, sourit et poursuivit son chemin.

Pourquoi sourit-il ? Etait-ce parce qu'il s'était trouvé devant une chose qu'il ne connaissait pas, mais pour laquelle chacun conserve pourtant une sorte d'instinct ? Ou bien s'était-il dit, comme tant d'autres fonctionnaires : « Ah ! ces Français ! Il n'y a rien à dire…S'ils s'y mettent…alors c'est vraiment tout à fait…chose… » Il se peut aussi qu'il ne songeât à rien de semblable : il est impossible de pénétrer dans l'âme d'un homme et de savoir au juste ce qui s'y passe. (p.86)

[…]

( Nicolas Vassiliévitch Gogol : Le manteau. Editions GF-Flammarion, 1995 )


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