593 : Paon, reptile, merde...
Responsable des pages littéraires du Monde
(4 février 1991)
Le 4 février 1991
Monsieur François Bott,
Depuis quelque temps, et avec une insistance désobligeante, je constate que mon nom revient dans les colonnes de votre supplément dit "littéraire", en particulier sous la signature d'un certain Philippe Sollers. Il y a trente ans que nous avons dénoncé les manoeuvres de cet arriviste, qui s' épuise en contorsions intellectuelles à vouloir prouver à trois ou quatre imbéciles qu'il est un "grand écrivain". Vous êtes le directeur supposé de ces pages? L'anecdote retiendra que c'est avec votre complicité et par lâcheté que vous aurez permis à ce paon, et au reptile Savigneau qui en couvre toutes les manoeuvres, de s'autopromouvoir (rien moins que trois articles dans votre dernier numéro) aussi indécemment aux yeux de tous.
Il a récemment lu quelques lignes de moi; il tient donc à le faire savoir et par là, de nouveau, à s' approprier des thèses à l'élaboration desquelles il n'eut jamais la moindre part et lui sont de plus, totalement étrangères. De ce qu'il s'est accordé, le droit de rendre compte de mon dernier livre, et tirant profit de mon silence, croit-il donc que sa malfaisance restera à jamais impunie? Ce n'est qu'une merde, et vous verrez que je l'écraserai bientôt, comme il se doit, sous mon talon.
Mais je ris. Car la domination spectaculaire, c'est justement cela: cette soi-disant "Fête à Venise", qui s'autoproclame comme l'agent le plus performant de sa dénonciation, et qui est pour l'heure la marchandise la plus tocarde et la plus vide de sens qui soit: à force de de remplissage et de bla-bla, rien que par l'ennui qu'elle engendre dès les deux premières lignes, elle implose d'ailleurs elle-même, simple pet du néant. Et son auteur, pur produit d'une médiatisation forcenée, de s'afficher comme l'être le plus spectaculairement dépourvu de toute substance... Le renversement est là: le monde de la marchandise littéraire frôle son accomplissement et accélère sa décomposition en produisant une marchandise fallacieuse, censée en dénoncer le mécanisme, laquelle est justement la plus nulle et la plus innoffensive qui soit. Mais pour qui sait lire, rien d'autre n'est à déchiffrer que l'absolue nullité du subterfuge.
Publiez cette lettre ou suicidez vous: l'un ou l'autre de ces moyens vous permettra sans doute d'échapper au déshonneur.
Guy Debord
Reproduite dans Un cavalier à la mer de Gérard Guégan