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DEFENSE DE SALIVER DES YEUX !
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13 octobre 2005

507 : " il restait devant elle dans un sombre silence"

… Beaucoup d'habitants de la contrée ne connaissaient M. de Montragoux que sous le nom de la Barbe-Bleue, car c'était le seul que le peuple lui donnât. En effet, sa barbe était bleue, mais elle n'était bleue que parce qu'elle était noire, et c'était à force d'être noire qu'elle était bleue. Il ne faut pas se représenter M. de Montragoux sous l'aspect monstrueux du triple Typhon qu'on voit à Athènes, riant dans sa triple barbe indigo. Nous nous approcherons bien davantage de la réalité en comparant le seigneur des Guillettes à ces comédiens ou à ces prêtres dont les joues fraîchement rasées ont des reflets d'azur. M. de Montragoux ne portait pas sa barbe en pointe comme son grand-père à la cour du roi Henry II ; il ne la portait pas en éventail comme son bisaïeul, qui fut tué à la bataille de Marignan. Ainsi que M. de Turenne, il n'avait qu'un peu de moustache et la mouche ; ses joues paraissaient bleues ; mais quoi qu'on ait dit, ce bon seigneur n'en était point défiguré, et ne faisait point peur pour cela. Il n'en semblait que plus mâle, et, s'il en prenait un air un peu farouche, ce n'était pas pour le faire haïr des femmes. Bernard de Montragoux était un très bel homme, grand, large d'épaules, de forte corpulence et de bonne mine ; quoique rustique et sentant plus les forêts que les ruelles et les salons. Pourtant, il est vrai qu'il ne plaisait pas aux dames autant qu'il aurait dû leur plaire, fait de la sorte et riche. Sa timidité en était la cause, sa timidité et non pas sa barbe. Les dames exerçaient sur lui un invincible attrait et lui faisaient une peur insurmontable. Il les craignait autant qu'il les aimait. Voilà l'origine et la cause initiale de toutes ses disgrâces. En voyant une dame pour la première fois, il aurait mieux aimé mourir que de lui adresser la parole, et, quelque goût qu'il en conçût, il restait devant elle dans un sombre silence ; ses sentiments ne se faisaient jour que par ses yeux, qu'il roulait d'une manière effroyable. Cette timidité l'exposait à toutes sortes de disgrâces, et surtout elle l'empêchait de se lier d'un commerce honnête avec des femmes modestes et réservées, et le livrait sans défense aux entreprises des plus hardies et des plus audacieuses. Ce fut le malheur de sa vie.

Anatole France : Les sept femmes de Barbe-Bleue.

http://users.belgacom.net/renedec/pagelitt5.html


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