468 : " il leva les yeux. Pas terrible..."
[...] Il avait terminé, à présent. Les yeux mi-clos, tous les muscles au repos, il détaillait dans le miroir son propre visage, dont il s'amusa à exagérer l'expression de béatitude humide puis, changeant à vue, de virilité efficiente et déterminée. Un reste de mousse adhérait au coin de sa moustache. Il n'avait parlé de la raser que par plaisanterie, comme il parlait quelquefois de se faire couper les cheveux très courts - il les portait mi-longs, rejetés en arrière. "Très courts ? Quelle horreur, protestait immanquablement Agnès. Avec la moustache en plus, et le blousson de cuir, tu ferais pédé.
- Mais je peux aussi me couper la moustache.
- Je t'aime bien avec", concluait-elle. A vrai dire, elle ne l'avait jamais connu sans. Ils étaient mariés depuis cinq ans.
[...]
Emmanuel Carrère : La moustache. Folio n°1883, 2004, p.10.