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DEFENSE DE SALIVER DES YEUX !
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9 août 2005

453 : Vous vous croyez seul, mon œil.

— On part ? 

— On part. 

Maud ne pose pas de questions, elle est prête. On interrompt les contacts, on ferme, on boucle, on roule, on disparaît, passage de la frontière, pluie et soleil, ouverture de la maison, respire, maintenant, respire. Écoute, regarde, sens, touche, bois, respire. Je saurai plus tard où aller. Je te dirai. 

On va dormir beaucoup, c’est nécessaire. Dormir et encore dormir, c’est la meilleure façon de leur échapper, et le plus possible d’un sommeil sans rêves. Car ils s’infiltrent aussi dans vos rêves, ils vous parasitent, vous tordent, vous imposent leurs voix. Bribes chuchotées, martelées, conneries, éclats, obscénités, refus, reproches, arrestations, interdictions, ordres. Impossible de les faire taire, le silence serait pour eux un poison. Ils se défendent, vous bousculent, vous attaquent, vous cognent. Vous vous croyez seul, mon œil. Votre chambre est remplie d’échos, les caméras sont là, les murs craquent, votre lit est électrique, la vermine monte dans les rideaux. « Ici ! » « Là ! » « Vous ! » « Toi ! » Drôle de banlieue sans fin, drôle de trame. 

— Tu es fou ? 

— Un peu. 

Maud pense qu’on vit un roman que j’invente, elle me suit, elle me croit. Tout a commencé par son obstination et sa gentillesse. Au début, méfiance, qu’est-ce qu’elle veut celle-là, l’étudiante, bon, oui, d’accord, jeune, brune, jolie, ronde, gracieuse, danseuse, regard noir amusé profond, mélodie, harmonie, la raison même. Les cinglées, merci, j’en ai eu ma claque. En insistant un peu, on finit d’ailleurs par s’apercevoir qu’elles le sont toutes. Ça peut mettre longtemps à se dévoiler, mais ça vient. Les visages se creusent ou s’affaissent, les masques tombent, la grimace d’argent apparaît, les sourires à reproduction s’enfoncent, les yeux égarés virent au fixe. Les types, nounours plus ou moins pervers, ignorent que la grande folie passe à ce moment-là sur eux, la vraie, celle de toujours, grottes, cryptes, couvents, maternités, crèches, écoles, liftings, cliniques, hôpitaux, bureaux, banques. Ils deviennent débiles ou se taisent. La folie, elle, parle à ciel ouvert, et personne ne semble s’en rendre compte. Ils sombrent, elles se décomposent, le spectacle continue, salut. 

[…]

PHILIPPE SOLLERS : L'ÉTOILE DES AMANTS. Éditions Gallimard, p.11-12, 2002. http://kritiks.blogspirit.com/archive/2005/08/08/philippe-sollers.html


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Commentaires
A
Question de Luz :<br /> Donnerez-vous une suite à "Cavale", le court récit qui a paru dans Le Monde cet été? <br /> Oui c'est un roman en cours. <br /> <br /> http://www.nouvelobs.com/archives_forum/sollers/forum_acc.htm
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K
John Donne<br /> Meditation XVII: No man is an island...<br /> <br /> http://isu.indstate.edu/ilnprof/ENG451/ISLAND/
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L
Trop tard, tu vas pas pouvoir gagner, j'ai trop de cavaliers à tes trousses, tous bien entraînés.<br /> C'est la cavalcade, tu vas pas allé bien loin dans ta cavale, et pis de toute façon que si tu triches, qu'a val'dire a ma mère !
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.
...
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