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DEFENSE DE SALIVER DES YEUX !
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12 juillet 2005

433 : Mais on n'en peut simplement plus de voir reproduit au théâtre, comme un décalque, ce que la télévision et les journaux..

Une soirée glaçante. Le mistral s'est calmé à Avignon, mais un froid autrement redoutable saisit les spectateurs qui voient Anéantis, au cloître des Carmes : le froid d'une violence mortelle. La Britannique Sarah Kane a écrit Anéantis en 1995, trois ans avant de se pendre, à l'âge de 28 ans. Elle y a mis le dégoût que lui inspirait le métier de son père, journaliste pour un tabloïd. C'est la profession d'un des deux personnages principaux, Jan

L'autre est une jeune fille, Cate, qu'il retrouve dans un hôtel de Leeds. Elle s'étrangle en parlant quand elle se sent oppressée, et s'évanouit. Jan voudrait la "baiser". La mort l'attend : il n'a plus qu'un poumon (cigarette), et un foie pourri par l'alcool. Il se sent traqué, sort son pistolet à chaque bruit. Il dit à Cate qu'elle l'aime. Elle lui dit qu'elle l'aime bien mais ne l'aime pas. Il la viole.

Au matin, alors que Cate s'est enfuie, un homme pénètre dans la chambre. Un soldat. Dehors, la ville est en guerre. On ne sait qui combat qui : c'est la guerre, et elle entre dans la chambre. Le soldat traque Ian comme une bête. Il lui raconte les scènes effroyables qu'il a vues, et perpétrées. Il le viole, lui arrache les yeux avec les dents et les mange. Une explosion détruit la chambre. Elle annonce le dernier tableau d'Anéantis : le soldat qui se suicide, Jan dans les décombres, les yeux bandés. Et le retour de Cate.

Elle arrive avec un bébé qu'une femme lui a donné. L'enfant meurt. Cate et Jan ont faim. Cate descend dans la rue se donner à un soldat pour de la nourriture. Jan mord dans la chair de l'enfant. Cate revient, donne la becquée à Jan, qui n'est plus qu'un trou. Il dit merci. C'est fini.

Aux Carmes, Anéantis commence avec la musique de Gainsbourg Je t'aime moi non plus, et s'achève par un éclat de lumière de néons blancs poussés à vif. L'Allemand Thomas Ostermeier, directeur de la Schaubühne de Berlin et artiste associé de l'édition 2004 du festival, est aux commandes. Sa mise en scène, impeccable dans le genre trash, répond au texte mot par mot, geste après geste. Elle n'en rajoute pas, d'une certaine manière. Et c'est encore pire que si c'était le cas, parce qu'on ne peut pas s'en échapper. Elle donne à entendre et à voir une horreur qui s'ajoute à une autre, des meurtres d'enfants, des viols et des massacres, la barbarie humaine à son sommet.

Quand Sarah Kane a commencé à penser à sa pièce, la guerre ravageait l'ex-Yougoslavie. Elle s'est demandé quel lien il pourrait y avoir entre un viol dans une chambre de Leeds et ce qui se passait en Bosnie. "Le premier est une graine, et l'autre est l'arbre, disait-elle. Je pense vraiment que les germes d'une guerre de grande ampleur se trouvent toujours dans la civilisation en temps de paix." Elle est allée au bout de son constat, tissant d'une façon radicale les liens entre la violence privée et la violence politique. Anéantis avait fait scandale, à sa création, en 1995, au Royal Court de Londres, à cause de la scène de cannibalisme. Ostermeier a attendu dix ans avant de monter la pièce, en janvier, à Berlin. Il y voit un texte prophétique de la nouvelle guerre du monde, celle du terrorisme. Sans doute.

Mais on n'en peut simplement plus de voir reproduit au théâtre, comme un décalque, ce que la télévision et les journaux écrivent et montrent dans les pires moments de la guerre. On le reçoit comme une décharge électrique, pas comme une réflexion. Surtout quelques jours après les attentats du jeudi 7 juillet à Londres.

Brigitte Salino : "Anéantis", guerre et faits divers tissés jusqu'à l'insoutenable.

LE MONDE 11.07.05 . http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-671527,0.html 

Anéantis, de Sarah Kane. Mise en scène : Thomas Ostermeier. Avec Ulrich Mühe, Katharina Schüttler, Thomas Thieme. Cloître des Carmes, à 22 heures, jusqu'au 15 juillet (relâche le 14). 19 € et 23 €. Durée : 2 heures. En allemand surtitré.


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