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DEFENSE DE SALIVER DES YEUX !
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13 juin 2005

402 : Le mauvais oeil par Ange Bénigne

Quelqu'un qui a été bien occupé pendant son dernier congé, c'est le lieutenant d'Arcachon-Thémines. C'est que maintenant les semestres n'existent plus guère, les trimestres sont rares, les officiers ont tant à faire! Quand on a une permission d'un mois, c'est fort joli. Lorsque l'on est bien avec son colonel, on part un jour avant la date indiquée sur la permission, quelquefois deux jours auparavant : total, trente-trois jours.

Donc, si on n'avait, par une cour assidue, préparé quelques conquêtes, il faudrait vivre sur les anciennes. Mais le lieutenant d'Arcachon-Thémines, en chasseur diligent, avait préparé les voies dès l'année dernière. Il avait fort courtisé madame d'Epinevinette et le moment dit psychologique était arrivé. A peine à Paris, avant même de s'accorder le régal d'un bavardage avec les amis dans la salle du Sport ou du camp de Châlons, d'Arcachon-Thémines se présenta chez madame d'Epinevinette, à laquelle il explique qu'un homme qui n'a que trente-trois jours de permission doit être traité avec égard.

Madame d'Epinevinette le comprit si bien, que quelques jours après, elle était entre quatre et cinq heures en tête-à-tête avec d'Arcachon-Thémines, auquel un de ses amis avait prêté pour la circonstance l'appartement de garçon de son frère absent ; appartement modeste situé dans sa maison.

Madame d'Epinevinette but beaucoup de vin de Champagne - ce jour-là, sachant son faible, le lieutenant en avait apporté - mangea des biscuits, grignota quelques tranches d'ananas - baignées dans le vin de Champagne, les tranches d'ananas sont souveraines en pareil cas - et fut, il faut en convenir, d'un abandon charmant. Le lieutenant ne but pas de vin de Champagne, mais fut plein de verve et d'entrain. Il n'y a aucune exagération à dire que les heures s'envolèrent ; pourtant il fallait se séparer. Le lieutenant avait toujours quelque chose à ajouter ; c'était à n'en plus finir. Madame d'Epinevinette l'en grondait le plus tendrement du monde, tout en promenant son regard alangui tout autour du joli fumoir-boudoir où se passait le rendez-vous.

Tout à coup sa voix s'arrêta dans sa gorge, une pâleur mortelle envahit son visage ; elle s'arracha brusquement des bras du lieutenant et, folle de terreur et se rencognant dans un coin de la pièce, dirigea son bras vers un point de la boiserie où apparaissait, par une fente pratiquée dans la tenture, un oeil fixe et grand ouvert.

Le lieutenant est brave, chacun le sait ; pourtant une sueur froide perla sur son front. Il n'y avait point à en douter, un œil avait assisté à leurs amours ; un oeil avait tout vu... On montait à l'appartement de garçon prêté par un escalier de service, et la pièce où ils se trouvaient était longée par le corridor sur lequel s'ouvraient les chambres de domestiques ; donc il avait été facile de s'y glisser ; ils étaient épiés, trahis ; l'idée de la mort ne les effraya pas. L'OEil, s'étant aperçu au changement d'allures qu'il avait été découvert, s'était retiré précipitamment. Impossible de savoir au juste à qui il appartenait. Madame d'Epinevinette, plus morte que vive, essayait de murmurer quelques mots à l'oreille de son amant; mais ses dents claquaient si fort qu'elle articulait avec peine.

- Si mon mari... !

À suivre...  http://www.bmlisieux.com/archives/benign01.htm


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