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DEFENSE DE SALIVER DES YEUX !
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3 mai 2005

355 : L'épave des ténèbres

— Ça pue le bon Dieu, ici !

Cette insolence de voyou fut dégorgée, comme un vomissement, sur le seuil très humble de la chapelle des Missionnaires Lazaristes de la rue de Sèvres, en 1879.

     On était au premier dimanche de l’Avent, et l’humanité parisienne s’acheminait besogneusement au Grand Hiver.

     Cette année, pareille à tant d’autres, n’avait pas été l’année de la Fin du monde et nul ne songeait à s’en étonner.

     Le père Isidore Chapuis, balancier-ajusteur de son état et l’un des soûlographes les plus estimés du Gros Caillou, s’en étonnait moins que personne.

     Par tempérament et par culture, il appartenait à l’élite de cette superfine crapule qui n’est observable qu’à Paris et que ne peut égaler la fripouillerie d’aucun autre peuple sublunaire.

    Crapule végétale des moins fécondes, il est vrai, malgré le labour politique le plus assidu et l’irrigation littéraire la plus attentive. Alors même qu’il pleut du sang, on y voit éclore peu d’individus extraordinaires.

    Le vieux balancier, qui venait d’entrouvrir la crapaudière de son âme en passant devant un lieu saint, représentait, non sans orgueil, tous les virtuoses braillards et vilipendeurs du groupe social où se déversent perpétuellement, comme dans un puisard mitoyen, les relavures intellectuelles du bourgeois et les suffocantes immondices de l’ouvrier.

    Très satisfait de son mot, dont quelques dévotes, qui l’examinèrent avec horreur, s’étaient effarées, il allait, d’un pas circonflexe, vers une destination peu certaine, à la façon d’un somnambule que menacerait le mal de mer.

    Il y avait comme un pressentiment de vertige sur ce mufle de basse canaille couperosé par l’alcool et tordu au cabestan des concupiscences les plus ordurières

    Une gouaillerie morose et superbe s’étalait sur ce mascaron de gémonies crispant la lèvre inférieure sous les créneaux empoisonnés d’une abominable gueule, abaissant les deux commissures jusqu’au plus profond des ornières argileuses ou crétacées dont la litharge et le rogomme avaient raviné la face.

    Au centre s’acclimatait, depuis soixante ans, un nez judaïque d’usurier ponctuel où se fourvoyait le chiendent d’une séditieuse moustache qu’il eût été profitable d’utiliser pour l’étrillage des roussins galeux.

    Les yeux au poinçon, d’une petitesse invraisemblable et d’une vivacité de gerboise ou de surmulot, suggéraient, par leur froide scintillation sans lumière, l’idée d’un nocturne spoliateur du tronc des pauvres, accoutumé à dévaliser les églises.

    Enfin l’aspect de ce ruffian démantibulé donnait l’ensemble d’un avorton implacable, méticuleux et présent jusque dans l’ivresse, que d’anciennes aventures auraient échaudé et qui, dès longtemps, n’avivait plus son cœur de goujat qu’à l’assaut des faibles et des désarmés.[…]

(Léon Bloy : La femme pauvre. Editions 10/18, 1983, pp.21-23.)  ( http://www.u-blog.net/bloy )


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