289 : Vous feriez bien le voyage si un démon vous montrait ces lignes ?
Samedi soir, 22 novembre 1913.
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] je suis d'une inquiétude incompréhensible, not to account for. Une soif ; une mauvaise soif me tient ; depuis trois semaines, je me joue l'histoire - imaginant de doux épisodes, les yeux clos la nuit dans le noir, cette heure qui est entre aujourd'hui et demain-, l'histoire d'être amoureuse d'un homme suffisamment beau, parfaitement médiocre, et complètement innocent de ces coupables débauches pensées. Je ne sais quel appétit du cur étrange me tient et me tenaille. Lui ou un autre, n'importe quel
Hélas ! que me veut ce sexe avilissant, et à quels airs aspirent ces nerfs, violons à romances ?
Honnête, j'ai tâché de travailler. Donc. Nationale où Daniel Halévy, si libéré qu'il soit, m'est prétexte à rêver sans que je le veuille. Mais je n'ai pas la force physique : deux matins de textes hindous, et j'eus l'air d'avoir été enterrée vivante.
Je me raccroche à Fritz Kiener. Celui-là, c'est un cadeau du Hasard, du cher Hasard. Il tient infiniment à moi, et malgré sa laideur, j'ai rêvé, - encore ! - que je me jetais dans ses bras en pleurant. Ça, j'aurais bien pu le faire. Ô Fritz, mon ami Fritz, compréhensif, ironiste, germanique bonté, comme je me serrerais bien sur votre cur, si vous saviez ! Sur un cur, sur n'importe quel cur
Vous feriez bien le voyage si un démon vous montrait ces lignes ?
Idiote, femelle, utérus et médiocrité.
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26 novembre [1913].
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Suite de ma crise psycho-utérine. J'ai une activité de politicien, un ressort de chirurgien, des yeux de morphinomane et une attente de naufragé.
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(Catherine Pozzi : Journal {1913-1934}. Editions Phébus Libretto, 2005, p.57-58.)