1052 : Il n’y a pas d’Aurélien heureux ?
Les yeux mi-clos, ses beaux yeux de myope, Rose suivait le jeu des lèvres de son amant. Il se plaignait des premiers signes de déchéance. Et puis la guerre l'avait abîmé, affirmait-il, le ventre... Quel coquet ! « Si tu crois que c'est bon pour la beauté, les tranchées, les sapes et le reste. Deux hivers dans l'eau et la boue !
(...)
Rose cessa de s'intéresser. Ces femmes qui ne couchent pas, c'est sale. Petites natures, peut-être. Oui, mais Edmond n'avait pas les yeux dans sa poche. Il savait autre chose : c'est que sa femme, qui ne coucherait pas avec Aurélien, ne pensait plus qu'à lui, qu'elle était prise par cet homme plus que s'il avait été son amant. Elle l'aimait. Elle souffrait de l'aimer. Elle s'en voulait de l'aimer. Là était le danger.
« Oh, - dit Rose, - puisqu'elle ne couche pas ! Vous êtes trop compliqués dans ta génération, mon beau bébé ! »
Et elle sortit ses seins des draps avec une certaines complésance.
Louis Aragon, Aurélien. Folio n°885, 1983, p.276.