790 : « La souffrance, c'est inimaginable, il faut vivre avec pour savoir »
Le 31 juillet 2004, les gendarmes ont débarqué vers 21 heures. Les deux femmes habitaient une maison isolée à Tancarville-le-Haut, la dernière avant le pont. «Quand nous sommes arrivés , raconte l'adjudant chef à la barre, la maison était parfaitement rangée, c'était nickel. Elle était assise à la cuisine, elle s'est levée, elle a dit : "C'est moi", et elle a présenté les documents qui étaient sur la table. Il y avait un contrat d'obsèques, son livret de famille et son sac à main.» Léonie était prête à être conduite à la gendarmerie. Aux ambulanciers, elle n'a pas fait de mystère : «Elle nous a dit qu'elle avait tué sa fille, que ce n'était pas la peine de sortir le matériel.» Ils ont trouvé le corps de Florence, bleu et froid, gisant au bas de son lit médicalisé, le cou enserré par une corde attachée à un des montants.
Léonie avait pendu sa fille après quarante-quatre ans de vie commune et de soins attentionnés : «J'ai abrégé les souffrances de ma fille, et les miennes aussi. C'est ce qu'on appelle une preuve d'amour, hélas. J'ai décidé d'en finir, c'est ça et pas autre chose» , a-t-elle dit le soir même aux gendarmes. La vie de Florence, aveugle, épileptique, incontinente, grabataire, a été interminablement détaillée hier par un médecin expert. Cataracte à la naissance. Hémiplégie cérébrale à 5 ans. Gros troubles comportementaux à 8 ans. Crises d'épilepsie, jusqu'à dix en 48 heures. Débilité à 19-20 ans. Et une incapacité à tout. A manger, à boire, à faire sa toilette, à s'habiller, à marcher. «Parfois, elle disait : "Aller au Havre", "manger", mais c'est tout», précise l'expert. Florence souffrait «sept jours sur sept», «cette souffrance, vous l'imaginez, même si elle n'est pas avouée» .
Brigitte VITAL-DURAND
LIBERATION : Mardi 24 octobre 2006.