Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
DEFENSE DE SALIVER DES YEUX !
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 135 935
5 juillet 2006

720 : Ils prirent possession de moi

philippe_sollers__01Elle arrivait. Il pleuvait fort et, de ma fenêtre, je n’apercevais que le toit des parapluies, le bas de sa jupe, ses chevilles, toutes choses qui ne m’émeuvraient que plus tard. Je brûlais de descendre mais craignais qu’on me trouvât déplacé. Vertige des voix animées, quand tout peut dépendre d’une seule, et qu’on s’efforce, tendant l’oreille, de démêler son cheminement incertain, ses ponctuations, ses interventions, ses cascades ! On riait, on cherchait des mots. J’eusse préféré mourir que quitter ma chambre et monter ainsi une préoccupation dont je croyais – tant j’avais de peine à en sortir – qu’elle était transparente.

On montait les escaliers. Cette fois, je n’y tins plus. En traversant le palier, j’aurais du moins l’excuse d’un déplacement naturel. Mais, tout de suite, nous fûmes face à face. Je ne vis que ses yeux. Ils prirent possession de moi avec tant d’ironie qu’à peine je pus balbutier des politesses, m’incliner, sourire. Ces yeux vous regardaient, à quoi je n’étais guère habitué, par dédain sans doute, d’accorder à autrui ce pouvoir. Je n’eus pas le temps de reconnaître la couleur de ce regard, ni le visage dont il émanait. Elle était vêtue de noir, obscure vraiment, comme une prêtresse ou ce qu’on voudra de sévère et d’imposant. Encore aujourd’hui je ne peux voir une femme en deuil sans la revoir, elle, brune et sombre, avec dans les yeux tout l’éclat de l’impertinence et de la gaieté. Je sus plus tard que sa tristesse, à l’exemple de nombre de sensibilités très libres, très désinvoltes, était à mille lieues des sentiments d’apparence, et se cachait, soit pudeur, soit politesse, derrière une de ces gaietés absentes où l’on voit qu’un être est averti et séparé de tout. Sans doute pensait-elle qu’il faut garder sa gravité pour soi.

Au dîner, j’observai Concha ouvertement, sans manège, et elle soutint mon regard. Rarement femme fut moins distraite : elle ne refusait ni n’engageait le combat, et ses yeux se posaient sur les miens, curieux et froids, sans que je pusse décider s’ils étaient pour ou contre mon désir. Comme tous les yeux admirables, je m’apercevais qu’ils avaient une couleur difficile à identifier, ni marron, ni verts, avec une légère pourpre dont on eût dit qu’elle savait user. Je pestais d’être obligé de lui parler, car mon observation s’en trouvait amoindrie, mais j’étais le seul qui parlât suffisamment l’espagnol, et, comme elle prononçait fort mal le français, j’étais obligé de lui servir d’interprète. Tout de suite, cette complicité de langage me parut en créer une autre, plus profonde. J’aimais quand son visage, après avoir subi l’assaut d’une question, se tournait vers moi pour un appel muet. Concha plut à tout le monde pour des raisons bien différentes. Les hommes sentirent en elle un caractère, c’est-à-dire, pensèrent-ils, un tempérament. Les femmes la trouvèrent exilée par sa superbe, et donc, d’après elles, inoffensive.

Philippe Sollers : Une curieuse solitude. Éditions du Seuil, 1958, pp.18-20.


Publicité
Commentaires
C
je suis descendu a la gare de l'est !puis jai tourné la tete et jai croisé ton regard par la vitre! le 30/05/06 a 16h40 jaurai du rester assis tu avais un pull bleu tu étais assise devant moi.. je sais ke tu ne trouvera certainement jamais cette annonce mais au moins ca laisse une trace et une petite chance ke tu saches combien tu me plais..<br /> par tétai assise devant moi
Répondre
Publicité
Publicité