639 : Ses yeux à la belle chassie
Lucie pentue hésitante, son visage comme une farine fraîche, ses yeux
bleus, je les voyais qui se baissaient et qui se levaient,
et se tournaient à droite et puis à gauche, Lucie se
tenait penchée. Elle ne savait pas ce qu’elle cherchait. Je
la regardais à travers la vitre déformée, une mouche tournicotait et
se posait sans cesse autour de mes yeux, puis elle se
nettoyait les pattes et les yeux, et repartait en faisant bzeu.
Je notais la présence de gros nuages blancs épais qui passaient
même assez vite dans le ciel. Au-dessus du mur qui fermaient
la cour, le haut du lilas de la voisine et derrière
de l’église d’ardoises le clocher. Des bandes d’oiseaux
passaient aussi. Certains loin et lents, et d’autres près et
vite. L’instant avait une densité intarissable en même temps inconsolable
semblait le monde. Alors mouche s’a posée sur l’extrémité
de mon nez : Lucie se tenait dans la cour pentue sur
une seule jambe, guibole, la tête penchée de côté, ses cheveux
blonds mi-longs très blonds, son oreille d’où perlait peut-être le
cerumen le plus suave ; ses yeux à la belle chassie aussi
tournicotaient à la recherche de – elle était derrière à savoir
quoi. Elle avait au front ce pli de souci, d’attention.
Ivar Ch’Vavar : Hölderlin au mirador (chant 13). Revue Le Jardin Ouvrier n°15, Décembre 1997, p.6.