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DEFENSE DE SALIVER DES YEUX !
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26 janvier 2006

601 : il me reste le plaisir de vivre

Des draps de salive. Mon royaume ( ! ) pour un verre d’eau.

Tous ces gens qui viennent me voir, c’est comme s’ils figuraient sur un écran, de l’autre côté d’une vitre. Ils se parlent entre eux, certains se retrouvent, pas vus depuis des années, venez donc manger un de ces jours. Ils parlent. Ce qu’ils disent n’a pas plus d’intérêt que d’habitude. Mais c’est leur voix qui me fascine. Vive voix.

… les mots montent jusqu’à mes lèvres

sans pouvoir en franchir l’ourlet

elles restent en tremblement

faites pour être regardées

les yeux des autres s’y consument

que veut-il dire on n’entend rien

seul le regard jette monnaie

sur le tapis du face à face…

Piqûres. Il est question de m’envoyer à Marseille, pour la rééducation. What is this ?

Le cobalt commence à brûler. Cou en sang. Tonne de pommade. Plus moyen d’avaler. On doit me broyer la viande. Purée. Nuits difficiles, assis, comme dans un carrosse en route vers l’autre nuit, l’autre noir. Qui sait ?

J’habite mon ombre.

Un peu de répit, à la pensée de Rimbaud, claquant là, pas très loin. D’Artaud, naissant là, tout près… Tant qu’à faire !

Les chirurgiens. Ils arrivent à faire en sorte que ce ne soit pas la vie qui est en cause, mais la mort. Plus soucieux de vaincre – un peu – la mort, que de faire durer – un peu – la vie. Ce qui change tous les rapports.

Curieux de ne plus avoir la mort – la sienne ! – devant soi, mais la sensation de l’avoir derrière. De l’avoir doublée, et de lui faire un pied de nez dans le rétroviseur. C’est Jabès qui écrit : « Comment pourrait-on être mort et vivre jusqu’à sa mort ? «  Eh bien, on doit pouvoir.

On me conseille d’avoir un petit sifflet sur moi. Si on tombe dans un trou.

Je suis là. On parle de moi à la troisième personne, comme un demeuré : « Il a bonne mine… »

Curieux de se savoir, de se sentir, irrécupérable. Avec les femmes, par exemple. Elles vous regardent comme on regarde vite, les yeux vides, un objet dans une vitrine de quinzième ordre. Oh ! c’est mieux que la pitié.

L’impression d’avoir été décapité. Puis on m’aurait remis la tête, un peu de travers. Cet air décalé que nous avons…

Après tout, il me reste le plaisir de vivre. Pas mal.

Georges Perros : L’ardoise magique. Papiers collés III. Editions Gallimard/Le Chemin, 1978, pp.307-336.


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