Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
DEFENSE DE SALIVER DES YEUX !
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 135 952
26 avril 2005

344 : die Freude am Schein, die Neigung zum Putz und zum Spiele.

[..] Et quel est le fait qui chez le sauvage annonce qu’il accède à l’humanité ? aussi loin que nous interrogions l’histoire, il est le même chez toutes les peuplades qui ont échappé à la servitude de l’état d’animalité : c’est la joie que l’on prend à l’apparence, le goût de la toilette et du jeu.

    Il y a entre la pire stupidité et la plus haute intelligence une certaine affinité en ce sens qu’elles ne recherchent toutes deux que le réel et sont complètement insensibles à la simple apparence. La première n’est arrachée à sa quiétude que si un objet est immédiatement présent à ses sens ; la seconde ne trouve le repos qu’en ramenant ses concepts à des faits de l’expérience ; en bref la bêtise ne peut pas s’élever au-dessus du réel et l’intelligence ne peut pas rester au dessous de la vérité. Dans la mesure donc où le besoin de réel et l’attachement à la réalité ne sont que les conséquences d’une pauvreté, l’indifférence à la réalité et l’intérêt pris à l’apparence sont un véritable élargissement de l’humanité et un pas décisif accompli vers la culture. Ils témoignent en premier lieu d’une liberté d’ordre externe : car aussi longtemps que le dénuement impose sa loi et que le besoin harcèle, l’imagination est attachée au réel par des chaînes rigoureuses ; elle ne déploie librement sa puissance que lorsque les besoins sont satisfaits. Mais ils témoignent aussi d’une liberté intérieure, car ils nous laissent apercevoir une force qui indépendamment de tout objet extérieur se met en mouvement par elle-même et possède assez d’énergie pour tenir éloignée d’elle la matière qui l’assaille. La réalité des choses est leur œuvre (à elles les choses) ; l’apparence des choses est l’œuvre des hommes, et une âme qui se délecte à l’apparence prend plaisir non plus à ce qu’elle reçoit, mais à ce qu’elle fait.

     Sans doute va-t-il de soi qu’il n’est ici question que de l’apparence esthétique reconnue distincte de la réalité et de la vérité – non de l’apparence logique que l’on confond avec celles-ci ; - il n’est question que de l’apparence esthétique, aimée donc parce qu’elle est apparence et non parce qu’on lui attribue une qualité supérieure. Elle seule est jeu, tandis que l’autre est une simple imposture. […]

     C’est la nature elle-même qui soulève l’homme au-dessus de la réalité jusqu’à l’apparence ; elle l’a en effet doté de deux sens qui ne le mènent à la connaissance du monde réel que par l’apparence. L’œil et l’oreille sont des sens qui refoulent loin d’eux la matière qui les assaille et éloignent l’objet avec lequel nos sens animaux ont un contact immédiat. Ce que notre œil voit, se distingue de ce que le toucher sent, car l’intelligence franchit d’un bond l’espace lumineux pour arriver jusqu’aux objets. L’objet que nous saisissons par le sens tactile est une force que nous subissons ; l’objet que nous percevons par l’œil et l’oreille est une forme que nous engendrons. Aussi longtemps que l’homme est encore sauvage il ne jouit que par les sens du toucher, et les sens de l’apparence ne sont dans cette période que les serviteurs de ceux-ci. Ou bien il ne se hausse pas à la perception, ou bien il ne goûte pas du moins de satisfaction par elle. Dès qu’il commence à jouir avec l’œil et que la raison acquiert pour lui une valeur autonome il est du même coup déjà libre esthétiquement et son instinct de jeu s’est épanoui. […]

( Friedrich  Schiller : Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme. Vingt-sixième lettre, Editions Aubier, 1976, pp. 337-341.)   


Publicité
Commentaires
Publicité
Publicité