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DEFENSE DE SALIVER DES YEUX !
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21 avril 2005

336 : Il n’y a plus d’ordre dans ma vie, tant je Vous aime !

[…] Au fond, toute sa vie, Bernanos n’a demandé qu’à se battre, et la question du drapeau sous lequel il se battait n’était pas essentielle. Son changement de drapeau final ne doit pas nous effrayer : il nous donne, au contraire, une grande leçon. Les éphémères convictions politiques n’ont aucun rapport avec ce qui est en nous l’essentiel, avec l’Ame. Pour atteindre un homme aussi profond, aussi inspiré que Bernanos, il faut négliger les hurlements terrestres auxquels il voulut bien s’associer. Sa réalité est située plus haut. Elle est dans le sentiment religieux, admirable et persistant, qui fait l’unité de sa vie et qui se retrouve, débordant, au centre de ses plus belles pages. À une époque où l’on a honte de Dieu, Bernanos n’a pas cessé de proclamer Dieu, sans rougir, avec une persuasive éloquence. Donc peu nous importe qu’il ait été, durant trente ans, du même côté de la Barricade que tous les autres grands écrivains auxquels ce livre est consacré [ Daudet, Maurras, Drumont, Bloy, Barrès, Bernanos…] et qu’il ait ensuite passé, d’une façon déconcertante, de l’autre côté. L’essentiel était sauf. En passant à gauche, il emportait avec lui le Christ et l’Église. Et c’est à cause de cela qu’il demeure, à nos yeux, un très grand Croisé – le plus grand de ceux dont la présence passionne ou honore mon livre -.

[…]

Après la guerre civile, voici, en 1914, la vraie guerre. Bernanos s’y précipite avec le plus grand courage. Réformé, il arrive à se faire prendre et, bien entendu, dans la cavalerie. Il est blessé, décoré, et la modération de son langage est une élégance de plus. « C’est une belle chose aussi, écrit-il à sa fiancée, d’avoir devant soi des ennemis vraiment magnifiques de foi et d’audace, mais eux et nous, va, nous nous sommes regardés dans les yeux ! » Et, un peu plus loin dans la même lettre : « Enfin, je suis très content que les prières de ceux qui m’aiment m’aient valu de courir ma chance et de combattre, comme je l’avais toujours rêvé, sans haine et sans colère, en conservant la paix dans mon cœur et cette lumière dans les yeux que tu aimes bien. »

Et comme il est encore lui-même dans cette autre déclaration très noble, qui explique si bien ses passions et ses erreurs futures : « Je ne suis pas celui qui regarde le mode comme un spectacle divertissant, mais j’y défends ma querelle, avec passion, avec rage, avec feu, de toute mon âme et de toute ma vie. Ce que tant d’imbéciles tiennent pour des nuées creuses de justice, l’honneur, la foi, je les tiens pour des vivants plus vivants qu’eux. Les grandes abstractions sont mes amies. Je pense qu’elles acceptent la pauvre amitié que je leur offre faute de mieux. Les voilà si délaissées. »… « J’ai voulu prier Dieu pour vous, ma chère amie, mais j’étais si pauvre, dans cette pauvre église paysanne, qu’à l’exemple du publicain je n’ai su qu’avouer ma misère et déplorer à genoux ma solitude et mes peines, la solitude et le dénuement de mon cœur. Il n’y a plus d’ordre dans ma vie, tant je vous aime ! »

(André Germain : Les Croisés modernes (de Bloy à Bernanos). Nouvelles Editions Latines, 1959, p.212-p.223)


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