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DEFENSE DE SALIVER DES YEUX !
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29 mars 2005

313 : J'étais seul comme jamais je ne l'avais été dans ma vie

Le septième jour, à compter de mon arrivée sur les lieux, j'assistai à la première chute de neige. Ce jour-là, chose rare, le vent ne souffla guère le matin, de lourds nuages couvrirent le ciel d'une couche de plomb. J'étais en train d'écouter un disque en sirotant un café, après mon footing et ma douche, quand il se mit à neiger. Il tombait des flocons durs et biscornus qui venaient heurter bruyamment les vitres. Une brise légère se leva et la neige commença à courir vers le sol à vive allure, hachurant l'espace de traits inclinés à trente degrés. Clairsemés au début, ces hachures auraient pu être celles d'un quelconque motif reproduit sur le papier d'emballage d'un grand magasin, mais quand il se mit à neiger sérieusement, tout se voila de blanc au-dehors, et montagnes et forêts devinrent invisibles. C'était une vraie giboulée du nord, rien à voir avec les première chutes de neige tranquilles que l'on connaît occasionnellement à Tokyo. Cette neige-là enveloppait tout, gelait la terre jusqu'à la moelle.
          Elle ne supportait pas non plus qu'on la regarda très longtemps, aussi avais-je déjà mal aux yeux. Je baissai les rideaux, pris un livre que je lus à côtédu poêle à mazout. Quand, parvenu au bout du disque, le bras automatique revint au repos, tout autour de moi tomba dans un terrible silence. Un silence de mort, littéralement. Je posai mon livre et, sans raison précise, je fis un tour méthodique de mon domaine. Du salon j'allai à la cuisine, vérifiai le débarras, la salle de bains, le cabinet de toilette, la cave, ouvris l'un après l'autre les portes à l'étage. Il n'y avait personne. Le silence s'était coulé comme de l'huile dans les moindres recoins. Tout au plus résonnait-il différemment de pièce en pièce.
          J'étais seul comme jamais je ne l'avais été dans ma vie (...)
          La neige cessa de tomber au début de l'après-midi. Aussi soudainement qu'elle avait commencé. L'épaisse masse nuageuse se déchirait çà et là comme une terre argileuse, et des trouées du ciel tombaient de grandioses colonnes de lumière qui glissaient d'un endroit à l'autre sur la prairie. C'était magnifique.
          Une neige dure jonchait partout le sol, comme si l'on avait saupoudré la terre de petits gâteaux de sucre. On eût dit que chaque flocon se serrait solidement sur lui-même, dans un refus obstiné de fondre. Mais, sur le coup de trois heures, la neige s'était quasiment volatilisée. La terre était détrempée et le soleil déclinant baignait la prairie d'une lumière tendre. Les oiseaux, comme libérés, se mirent à chanter.

( Haruki Murakami : La course au mouton sauvage, Traduit du japonais par Patrick De Vos, Editions du Seuil, (coll. points roman, n°R 519) 1990. http://users.swing.be/paul-malvaux/murakami.html )


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Commentaires
A
J'ai beaucoup aimé ce roman, c'est mon fils aîné qui me l'a fait lire ! La neige est longue, et elle isole.
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