69 : Prénom Anna
Nous avons pour voisin un certain Bibikov, un homme d'une cinquantaine d'années, inculte et de modeste aisance. Sa maison était tenue par une parente éloignée de sa femme défunte, Anna Stépanovna, une vieille fille de trente-cinq ans dont il avait fait sa maîtresse. Bibikov fit venir chez lui, pour son fils et sa nièce, une gouvernante allemande. Celle-ci étant jolie, il en tomba amoureux et la demanda en mariage. Sur ces entrefaites, Anna Stépanovna quitta la maison sous prétexte d'aller voir sa mère à Toula. De là, avec un petit baluchon qui ne contenait que du linge et une petite robe de rechange, elle revint à Iasienka, la gare la plus proche de chez nous et se jeta sous un train de marchandises. On procéda à son autopsie, Léon Nikolaïévitch la vit à Iasienka, dans des baraquements, le corps entièrement dévêtu, disséqué et le crane dénudé. L'impression fut terrible et profonde, Anna Stépanovna était une femme de haute taille, aux formes amples. Russe de type et de caractère, les yeux gris, pas jolie, mais très agréable.
( « Pourquoi il a donné à Karenina le prénom d'Anna et ce qui lui a inspiré l'idée d'un pareil suicide. » :Journal de la Comtesse Léon Tolstoï, 1892-1891.Librairie Plon 1930,p.65. )
68 :A nul ne dis jamais rien, non,
De tout ce que virent tes yeux :
L'oiseau, la vieille, la prison
Ou bien autre chose,- oublie-le
Car pour peu que s'ouvrent tes lèvres,
Tu sentirais, quand le jour vient,
Dans tout ton corps comme une fièvre,
Un frémissement de sapin.
Et tu reverrais la datcha,
La guêpe, ton petit plumier,
Ou les myrtilles dans les bois,
Que jamais tu n'as ramassées.
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( Ossip Mandelstam. Poèmes. Octobre 1930. Traduit par Henri Abril. Editions « Radouga » Moscou 1991. p.117.)
67 : Enfin je peux dire (redire) ce qu'est l'esprit : " le principe avant-coureur de celui qui conduit toutes choses" (Goethe) Et lorsque je demandai à celui qui était à côté de moi : Pour toi, « le principe avant-coureur », c'est quoi ? il répondit aussitôt : « l'il »
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(Peter Handke : L'histoire du crayon. Gallimard 1987.p.254.
66 : La peinture c'est l'image aimée qui rentre par les yeux et s'écoule par la pointe du pinceau et l'amour c'est la même chose !
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( Salvador Dali : Les moustaches radar (1955-1960), Folio 2004, p.114.)