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DEFENSE DE SALIVER DES YEUX !
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30 novembre 2004

35 : Aux yeux des partisants obstinés

...ceux-là paraîtront " opportunistes", honteusement et méprisablement, qui, n'attachant somme toute pas grande importance au régime et à l'état social, ont surtout horreur du désordre et ne revendiquent guère d'autres droits que celui de penser et d'aimer librement. Pour peu que cela me soit accordé, je m'accommoderais assez volontiers des contraintes, me semble-t-il, et j'accepterais une dictature qui, seule je le crains, nous sauverait de la décomposition. Ajoutons en hâte que je ne parle pas ici d'une "dictature française".

10 juillet 1940

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Indulgence. Indulgences...Cette sorte de rigueur puritaine par quoi les protestants, ces gêneurs, se sont rendus souvent si haïssables, ces scrupules de conscience, cette intransigeante honnêteté, cette ponctualité sans scrupule, c'est ce dont nous avons le plus manqué. Mollesse, abandon; relâchement dans la grâce et l'aisance, autant d'aimables qualités qui devaient nous conduire, les yeux bandés, à la défaite.

28 juillet 1940

**

Aldous Huxley (Beyond the Mexique Bay) constate dans l'art Maya l'absence des formes féminines puis conclut aussitôt à l'absence de sensualité de cet art. Il se peut; mais l'un n'entraîne point nécessairement l'autre et j'ai vu dans des tombeaux étrusques des peintures d'une sensualité et même d'une lubricité évidentes, d'où l'élément féminin était exclu. Mais c'est une induction très fréquente, à laquelle je m'étonne seulement qu'une intelligence aussi avertie que celle d'Aldous Huxley se soit prêtée. Il parle d'un torse de divinité masculine, "merveille de grâce et de délicatesse"; digne, dit-il, de prendre place au British Museum; ce torse, ajoute-t-il, ne rappelle en rien l'équivoque efféminement si constant dans les sculptures des Indes; donc...Mais, parbleu, les Ignundi de la Sixtine non plus. Ah! qu'il est aisé pour l'uraniste de passer pour frigide ou chaste, aux yeux de l'hétérosexuel!

20 septembre 1940

( André Gide. Journal 1939-1942. Editions Gallimard 1962 )


34 : Est-ce sur l'ordre de Lénine que la plupart des églises d'URSS ont été transformées en musées antireligieux? En tout cas, il n'était pas opposé à cette nouvelle destination des lieux de culte. J'ai visité quelques-uns des ces musées. Le principal était installé dans la cathédrale de Kazan sur la perspective Nevski à Saint-Pétersbourg. C'était accablant d'imbécilité. On y voyait des gravures représentant des popes lubriques fouettant les grosses fesses de leurs paroissiennes, des archimandrites hideux comptant leur or avec des mines d'usurier, des couvents abritant des saturnales. Naturellement l'Inquisition n'était pas absente. Elle était ilustrée par toutes sortes d'instruments de torture et des personnages en cire subissant des tourments épouvantables sous l'oeil charbonneux des moines composant le tribunal ecclésiastique.

14 décembre 1991

( Jean Dutourd. Journal des années de peste, 1986-1991. Sépulture chrétienne: 14/12/1991, p.409.Editions Plon. )


33:  On  tourne le dos gaiement au bonheur irremplaçable de l'enfance, on renonce à l'innocence de coeur pour bien peu de chose. Ce qui peut paraître un petit plaisir, à l'usage, à la réflexion, et sur le tard, éblouit qui le découvre, et cela est légitime puisque tout est dans l'émotion qui l'accompagne. De l'amour de Dieu qui avait fait la joie de mon enfance, à Jeannette, cependant quel brusque déclin. Une main devant vos yeux suffit à cacher un monde admirable, mais si cette main se laisse prendre avec complaissance, quelle brûlure au coeur et quelle découverte. C'est dire que c'est une expérience à faire, et qu'il faut en passer par là. Je ne regrettre rien.

A l'étape suivante, on goûte des plaisirs et des plaisirs encore, ils sont devenus nécessaires et n'ont plus cependant de raison suffisante. Ils ne comblent plus parce qu'ils n'éblouissent plus. On est un vieux routier du plaisir. On en vient à rechercher surtout la tendresse, sous toutes ses formes, qui est d'un autre ordre, et ce peut être celle des enfants qu'on a contribué à mettre au monde, et qui vous suffit. Avec eux et pour eux, on réinvente l'enfance perdue, il semble que le jardin d'autrefois va rouvrir ses portes. Ils grandissent. Mais voilà qu'ils ne vous aiment plus. On voit la haine, dans ce qui avait été le regard d'un enfant tendre, et ceux pour qui vous avez tout fait vous parlent et vous traitent comme jamais personne ne vous a parlé ni traité. Vous êtes de trop, vous encombrez, bien volontiers on vous supprimerait. N'avoir jamais rencontré la haine, et la lire justement dans ces yeux-là : c'est la vie elle-même qui perd sa raison suffisante.

30 avril-2 mai 1940 / Décembre 1974

( José Cabanis. Les profondes années : Journal 1939-1945. Editions Gallimard 1976. p.143. ) 


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